mardi 16 février 2010

l'ouvre-boîtes

Extrait 2 de "Patrimoine" de Philip Roth :


"De retour à l'appartement, Lil passa dans la cuisinette pour préparer une soupe Campbell en guise de déjeuner. mon père la suivit pour prendre les assiettes et dresser la table dans la salle à manger, quant à moi je restai dans le séjour, m'efforçant d'imaginer comment s'y prendrait Meyerson pour soulever le cerveau de mon père sans lui causer de dommage. "Il doit y avoir moyen", pensai-je.

Apparemment, Lil se servait de l'ouvre-boîtes manuel fixé au mur proche de l'évier, car j'entendis mon père lui dire : "Tiens la boîte par le fond. tu ne la tiens pas par le fond.

- Je sais ouvrir une boîte de soupe, répliqua-t-elle.

- Mais tu ne la tiens pas comme il faut.

-Herman, laisse moi faire. Si, je la tiens comme il faut.

- Pourquoi t'obstiner à ne jamais faire ce que je te demande au moment où je te le demande? Tu ne fais pas ça comme il faut. Tiens-la par le fond."

Et moi dans l'autre pièce, je me retins de justesse pour ne pas m'écrier : "Tu es à deux doigts d'une catastrophe, espèce d'idiot, laisse-la ouvrir la boîte comme ça lui chante, bordel de merde", alors même que je me disais aussi : "Mais bien sûr. Comment ouvrir une boîte de soupe ? A quoi d'autre penser ? Y a-t-il autre chose qui compte ? Voilà ce qui lui a permis de tenir le coup pendant quatre-vingt-six ans et ce qui maintenant va lui permettre de passer le cap. Tiens-la par le fond, Lil, il sait de quoi il parle."

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