Pendant des mois j'ai revu la scène, l'inconnu enfermé qui hurlait et pissait son sang dans la nuit juste contre ma vitre. Les portes bloquées de la Renault. Une prison d'acier en travers de la nationale. Le bruit des freins des poids lourds qui viendraient s'encastrer sur nous, la brume qui poissait le pare-brise. La chauffarde à la BM assise dans le fossé pestait. Les secours n'arrivaient pas assez vite. Lorsqu'ils nous ont désincarcérés enfin - d'abord moi, puis ils ont transporté l'homme - je ne pouvais plus bouger ni parler. Je ne pensais qu'à celui qui devait dormir encore dans la maison sur la plage. Je savais qu'il serait furieux.
Je ne sais pas si l'accident est vraiment à l'origine de cette phobie au volant. En fait, les symptômes étaient apparus avant. Mais il y a bien un avant et un après. Une forme de mythologie toute personnelle s'est nouée en ce moment précis. L'homme encore enfermé dans son véhicule et mon incapacité à approcher de lui, à lui parler même pour le rassurer. Sa machoire ensanglantée collée au carreau, les yeux écarquillés comme un poisson qui cherche l'oxygène. Ma terreur muette. Comme si j'assistais à un scenario catastrophe dont j'étais l'actrice impuissante. Les images s'enchaînaient, violentes, saccadées, saturées de froid, de boue et de nuit.
En jetant mes valises dans le coffre ce matin-là, j'ai repensé à l'accident et aux heures qui ont suivi, à tout ce que j'aurais dû dire à cet homme pendant qu'il mourait de peur au milieu de la route.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
votre mot à dire?