"Les jeux de l'amour ne sont-ils pas, en effet, une forme de narration ? Nos corps ne narrent-ils pas alors des histoires follement intimes sur eux-mêmes ? Chaque conte nocturne peut se lire comme un commentaire, voire comme un manuel sur le développement de la relation entre cet homme-là et cette femme-là ; ce qu'ils apprennent de l'amour prend racine dans la sagesse qu'elle (jeune vierge au départ !) instille dans ses contes.
Schéhérazade ne repousse pas simplement la mort en emprisonnant le roi dans les rets de sa narration : elle engage la conversation et la bataille avec la mort. Au bout de quelques nuits, il importe peu que le conte soit inachevé au matin : les procédés de la narration, son intrication (récit dans le récit dans le récit : Schéhérazade raconte l'histoire d'un pêcheur qui raconte l'histoire d'un autre pêcheur qui raconte l'histoire d'un troisième...), tout cela permet à la narratrice de prendre Châhriyar dans ses filets. Plusieurs contes sont des reflets des relations de Châhriyar avec les femmes, ou leur réfutation ou bien encore des défis qui leur sont lancés - mais jamais de manière simple et directe. Schéhérazade montre qu'il existe une variété infinie de possibilités : mille et une façons de gouverner, mille et une manière de négocier l'absence, de se comporter avec autrui, de se confronter à soi même, de faire l'amour. Elle libère ainsi son interlocuteur du piège des définitions étroites ou absolues de la vie, de l'amour, du bien et du mal, de la transgression et du châtiment, de la vengeance et du pardon."
André Brink, L'amour et l'oubli.
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