dimanche 17 janvier 2010

L'éphémère

"(...) au bout de vingt ou trente siècle de méditation (...), nous sentons toujours cette vieille perplexité, celle que ressentit mortellement Héraclite dans cet exemple auquel je reviens toujours : personne ne se baigne deux fois dans le même fleuve. Pourquoi ne se baigne-t-on jamais deux fois dans le même fleuve ? Premièrement parce que les eaux du fleuve ne cessent de couler. Deuxièmement _ et c'est quelque chose qui nous touche métaphysiquement, qui nous cause comme un début d'horreur sacrée _ , parce que nous sommes aussi un fleuve, que nous nous écoulons aussi sans cesse. Le problème du temps est là. C'est le problème de l'éphémère : le temps passe. Je me rappelle ces beaux vers de Boileau :
"Hâtons-nous, le temps fuit et nous traîne avec soi.
Le moment où je parle est déjà loin de moi."
Mon présent - ou ce qui était mon présent - est déjà du passé. Mais ce temps qui passe, ne passe pas entièrement. Par exemple, j'ai bavardé avec vous jeudi dernier. Nous pouvons dire que nous sommes autres aujourd'hui, car il nous est arrivé bien des choses au cours de cette semaine. Pourtant nous sommes les mêmes.(...) Autrement dit nous sommes un être qui change et qui reste permanent. Nous sommes des êtres essentiellement mystérieux. Que serions nous sans la mémoire?"
Borges, Conférences, "Le Temps".

1 commentaire:

  1. Merci de m'avoir signalé votre billet. dans L'Intuition de l'instant, Bachelard avait ébauché une méditation à ce propos. "Le temps ne dure qu'en inventant", notait-il, se renouvelant comme l'eau d'un fleuve, à chaque instant.

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