lundi 14 septembre 2009

En regard



"Tu ne sais probablement rien du tout de ce que à quoi ton dos peut ressembler, quoi que le ciel puisse contenir : le soleil, ou le lever de la lune. C'est là que je repose. Ma main, mes yeux, ma bouche. la première fois que je le vois, tu es en train de nourrir le feu avec un soufflet. Le brillant de l'eau glisse le long de ta colonne vertébrale et je me choque moi-même de me rendre compte que je voudrais bien la lécher. Je cours me réfugier dans l'étable pour tenter d'arrêter ce qui se produit en moi. Rien n'y fait. Il n'y a que toi. Rien en dehors de toi. Mes yeux et non mon estomac sont la partie affamée de mon être. Il n'y aura jamais assez de temps pour regarder comment tu bouges. Ton bras se lève pour frapper le fer. Tu te baisses sur un genou. Tu te penches. Tu t'arrêtes pour verser de l'eau, tout d'abord sur le fer et ensuite dans ta gorge. Mais avant que tu saches que je fais partie de ce monde, je suis déjà tuée par toi. Ma bouche est ouverte, mes jambes sont molles et mon coeur est tendu à se rompre.

La nuit vient et je vole une chandelle. Je porte une braise dans un bol pour l'allumer. Pour voir davantage de toi. Lorsque c'est allumé je protège la flamme de ma main. Je te regarde dormir. Je regarde trop longtemps. Je suis imprudente. La flamme me brûle la paume. Je pense que si tu te réveilles et que tu me vois te regarder, je vais mourir. Je m'enfuis en courant, ne sachant pas alors que tu me vois bien te regarder. Et lorsqu'enfin nos regards se rencontrent, je ne meurs pas. Pour la première fois je suis en vie."

T. Morrison, un don.

2 commentaires:

  1. Un grand écrivain, Toni Morrisson!
    j'ai beaucoup aimé Un Don.Une période mal connue (de moi en tout cas) de l'histoire des Etats-Unis.
    PP

    RépondreSupprimer
  2. Un glissement intéressant. Qui regarde qui ? Qui est vu sans savoir l'être ? J'adore ces mises en perspectives-là.

    RépondreSupprimer

votre mot à dire?