dimanche 20 mars 2011

le promeneur du dimanche




Cannes, février 2011.





Il est âgé maintenant et chaque dimanche il revient sur ses pas. Il porte la veste trois quarts de ceux de son âge et il longe la croisette à l' infini, la tête sous le chapeau. Combien de temps déjà ? Qu'il arpente le bitume au milieu des gosses qui l'évitent. Tous les dimanche. Revenir. Marcher encore perdu dans ses pensées. Ses semelles de cuir gémissent en un bruit familier. L'air embaume les prémisses du printemps et la lumière vive le happe. Autour de lui les badauds s'égayent. Sur les bancs, des mères lorgnent le petit dernier. De jeunes couples s'enlacent à l'ombre des platanes, il peut entendre parfois le murmure doux de leurs ébats heureux. Il essaie de ne pas penser. Mettre un pied devant l'autre. Et puis encore un. Parfois il s'assoit et les pigeons viennent en gonflant le cou. Il fixe leur oeil. La paupière plissée, la prunelle insondable. Le balancement de leur marche bizarre dans les quignons de pain. Il observe ses mains. Les paumes ouvertes. Vides. Tachées. Avec le temps elles semblent s'être repliées et vivent rivées l'une à l'autre sans même qu'il s'en rende compte, dans son dos. Comme pour l'aider à avancer. Des témoins d'une autre époque. Il y a bien longtemps, elles le précédaient. Elles tenaient l'archer et prolongeaient ses bras pour embrasser la vie. Aujourd'hui elles touchent le banc vermoulu, l'effleurent du bout des doigts. Réminiscence. Frisson. Tendu des épaules aux reins sous la gabardine. Les sensations affluent, par vagues. Il plonge en lui comme un oiseau mort et la lumière du ciel l'envahit un court instant. Ce moment-là, la douceur du jour qui décline, l'épaule découverte en éclipse, le voile fleuri de sa jupe, les mains vives, les mains douces, affolées, qui courent pour saisir un genou rond et le rire chatoyant qui embrasse tout l'espace. Il se perd dans ce rire chaud, sous le manteau le coeur lui fend. Alors il ramène ses deux mains sur sa poitrine et s'oblige à respirer lentement. Il a froid. Il se lève et marche mécaniquement, le regard masqué sous ses lunettes embuées, le dos voûté, la mine grise de ceux qui sont restés bloqués ailleurs. Sur ses pas, un autre homme lui fait de l'ombre. Il voudrait bien lui échapper. Dans son dos, ses mains nouées tressaillent. Il faut rentrer.

2 commentaires:

  1. Quand, enfin, Dimanche devient chaque matin de la vie, hélas, ce n'est que pour gravir seul la montagne des Dimanche soirs.

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  2. Émouvant, respectueux, tendre.
    Magnifique.

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