mardi 19 juillet 2011

chapitre 4

Ce jour-là j'ai roulé pendant des heures. La wolkswagen avalait la route et je me sentais une force de damnée. C'était longtemps après l'accident. J'avais fait deux valises, et rien ne pouvait plus m'arrêter. Pendant toutes ces années impossible de toucher un volant sans une sensation d'oppression opaque, l'impression que l'asphalte défilait sous les roues comme le tapis mécanique d'un grand magasin qui aurait perdu son frein. Impossible de contenir la vitesse de cette bande qui très vite entraînerait la voiture, la happerait dans un précipice. Nausées, vertiges, syncope. Tout m'échappe. Il faut s'arrêter vite pour reprendre son souffle et ralentir le rythme endiablé du coeur, permettre à la respiration de revenir, desserrer la main qui serre la gorge jusqu'à l'évanouissement. Phobie du volant a dit le psy. Des années, sans pouvoir maîtriser cela. C'est fini.


Pendant des mois j'ai revu la scène, l'inconnu enfermé qui hurlait et pissait son sang dans la nuit juste contre ma vitre. Les portes bloquées de la Renault. Une prison d'acier en travers de la nationale. Le bruit des freins des poids lourds qui viendraient s'encastrer sur nous, la brume qui poissait le pare-brise. La chauffarde à la BM assise dans le fossé pestait. Les secours n'arrivaient pas assez vite. Lorsqu'ils nous ont désincarcérés enfin - d'abord moi, puis ils ont transporté l'homme - je ne pouvais plus bouger ni parler. Je ne pensais qu'à celui qui devait dormir encore dans la maison sur la plage. Je savais qu'il serait furieux.



Je ne sais pas si l'accident est vraiment à l'origine de cette phobie au volant. En fait, les symptômes étaient apparus avant. Mais il y a bien un avant et un après. Une forme de mythologie toute personnelle s'est nouée en ce moment précis. L'homme encore enfermé dans son véhicule et mon incapacité à approcher de lui, à lui parler même pour le rassurer. Sa machoire ensanglantée collée au carreau, les yeux écarquillés comme un poisson qui cherche l'oxygène. Ma terreur muette. Comme si j'assistais à un scenario catastrophe dont j'étais l'actrice impuissante. Les images s'enchaînaient, violentes, saccadées, saturées de froid, de boue et de nuit.



En jetant mes valises dans le coffre ce matin-là, j'ai repensé à l'accident et aux heures qui ont suivi, à tout ce que j'aurais dû dire à cet homme pendant qu'il mourait de peur au milieu de la route.

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