mardi 26 juillet 2011

Chapitre 5

Nous avions rendez-vous dans l'auditorium pour répéter. Elle était vêtue sobrement et m'accueillait toujours en jouant sur le piano noir les premières notes du morceau que j'étais censée maîtriser à l'heure de nos rencontres. Ensuite je respirais lentement en gonflant le ventre et en poussant des "mi", "mi", "mi", pour gravir les degrés jusqu'à la voix de tête. Je chantais devant les miroirs en la regardant. Je la trouvais superbe, port de tête altier, bras souplement posé sur les blanches et pendant une heure je me sentais belle. J'ouvrais la gorge, je me concentrais sur le passage de l'air, la direction, le timbre. Je suivais à grands traits des partitions que je maîtrisais mal. Je savais à son regard si c'était juste. Dans les yeux bruns d'Essya, sur sa nuque ployée, dans l'attache fine du poignet, il y avait toute la grâce du monde. Avec elle et pour une heure je me sentais bien dans mon corps, magique et déployée comme le Chérubin des Noces. J'échappais aux interdits, je laissais bas mon manteau de peurs pour ouvrir un espace auquel elle me donnait droit.




Un jour, Essya m'a dit que le jeune homme s'était inscrit au cours. Elle le trouvait bizarre. Jolie voix, mais étrange ce garçon, très émotif. "Tu le connais, il s'est recommandé de toi pour s'inscrire?". De lui je ne connaissais que le prénom. Je savais pourtant qu'il gravitait dans une association que je fréquentais, il était parfois parmi nous le soir mais se tenait à l'écart. Il semblait timide et rougissait souvent. J'ai été surprise, sans plus. Un jeune homme qui aimait le chant. Un mensonge de convenance, voilà tout. Je n'en n'ai pas parlé aux autres.






Je vivais dans un appartement sous les combles. Avec un gros chien jaune à poils longs, clône du précédent. Une rue commerçante de petite ville rurale. Dans la nuit, quand les discussions avaient pris fin et que chacun repartait, je promenais le chien. C'était quelque chose de difficile d'être seule dans cette rue avec ce chien. Jaune, pas noir. Le même en jaune. Je remontais la rue jusqu'à la cathédrale, étrange avec cette tour manquante comme si on l'avait oubliée en cours de construction. Derrière la cathédrale, une maison comme j'en rêvais. Une maison à deux étages avec beaucoup de pièces et des cheminées. Faite de la pierre blanche du pays, solide, stylée, avec des fenêtres anciennes et des parquets aux couleurs chaudes qui craquent sous les semelles. Une maison pour une vie douce. J'ai déménagé souvent. J'ai aimé chacun des lieux qui m'ont accueillie. Je peux me rappeler ma chambre d'enfant, le lit de lecture rose, la grande baie donnant sur le jardin, les chemins de campagne à perte de vue, les rideaux de shintz glacé que je détestais et puis le bureau d'acajou offert pour mes quinze ans. Dans ce nouvel appartement sous les toîts il n'y avait presque rien. Des meubles d'Emmaüs et ma bibliothèque. C'était reposant ce vide. Ces objets utilitaires que je pouvais toucher sans crainte. Un lieu pour oublier ou pour chanter.


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