jeudi 25 août 2011

chapitre 11

A la sortie du cinéma il me saisit le bras, nerveux. Il regarde mes mains et son visage pâlit. Ses mâchoires se contractent. Il me dit : "je vais rentrer. Je dois repasser par chez moi". Moi je ne comprends pas. Nous devions passer la soirée ensemble. Je m'en réjouissais. Le film était à la hauteur. Un Spike Lee qu'il voulait voir absolument. Je bredouille un "mais, pourquoi?". Il ne dit rien. Juste il me demande très nerveux de le conduire jusque chez lui, je pourrai l'attendre dans la voiture, il faut qu'il y passe rapidement. Je m'exécute.


Le quartier est sinistre. Dans la petite Renault, je n'ose pas bouger de peur de me faire remarquer des individus qui s'éjectent bruyamment du bar louche. Le lampadaire éclaire la friche au loin et je grelotte.


Il pleut maintenant assez fort. Plus personne ne sort du bar et je commence à me demander s'il ne m'a pas oubliée. Je n'arrive pas à mettre de mots sur mes angoisses. Qu'est-ce qu'il fout? Et si j'allais sonner à sa porte? Je sens bien qu'il ne le souhaite pas mais je voudrais une réponse à ce non-sens. J'ai dix-huit ans, je suis seule dans une voiture pourrie dans un quartier sordide et j'attends sans comprendre pourquoi j'attends. Figée par mon désir de le voir sortir, fascinée par cette situation absurde, inquiète de son visage de tout à l'heure, les yeux fixes, les traits crispés comme un masque soudain. Je regarde mes mains. Mes ongles sont un peu rongés. Je ne leur trouve rien d'anormal.


Une idée me traverse l'esprit. Et s'il avait eu un problème? Un accident? s'il avait besoin d'aide et ne pouvait appeler. Ca fait presque une heure.


Je prends mon courage à deux mains, je sors de la voiture en faisant le moins de bruit possible pour ne pas attirer l'attention d'un voisinage qui m'effraie. Je sonne. Pas de réponse. Je sonne plus longuement. Rien. Je cogne à la fenêtre. Je cogne plus fort. Je n'arrête plus de cogner. En haut un voisin laisse échapper une bordée d'injures. J'appuie sur la sonnette en continu, laissant aller tout le poids de mon corps. Je veux. Je veux que cette porte s'ouvre.


J'entends la serrure. Il est debout. Tout blanc. Les mains pleines de savon. Je ne vois plus ses mains tant il y a de savon. Il lache un "excuse moi". Je n'écoute pas. Je pénètre de force dans l'appartement et le traverse. Il y règne un chaos indescriptible. Par terre un sachet de knackis éventré. Des objets épars. Une atmosphère de ravage. J'ai l'impression d'un cambriolage. Je le regarde avec effroi. Que fais tu?


Courbé sur le lavabo, il ne me répond pas. Il a relevé ses manches jusqu'aux épaules. Ses bras sont nus, très blancs. Il se frotte. Ses mains et ses bras sont couverts de savon. Il se rince. Méticuleusement. Et puis il recommence encore et encore sans dire un mot. Le lavabo est bouché, encrassé. L'eau menace de déborder. Il continue de se laver à l'infini, avec des gestes lents, semblant obéir à un rituel qui lui dicte ses gestes. Il ne m'entend pas.


Je reste plantée là. Médusée. Je respire à peine. Un filet de sueur coule dans mon dos.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

votre mot à dire?